Leopold Sédar Sénghor disait « On ne lèche pas le pouvoir. » Plus qu’une simple assertion, le poète président agit selon ce principe et rentra ainsi dans l’histoire au moment où la plus part de ses homologues Africains redoublaient de stratagèmes pour s’éterniser au pouvoir. On sait aujourd’hui que ce n’est pas pour des raisons démocratiques que Senghor a quitté le pouvoir mais plutôt, une clairvoyante lecture de la crise économique qui se profilait à l’horizon.
En effet, Le Président Senghor sentait que les Programmes d’Ajustement Structurels allaient entacher sa réputation de socialiste et auraient pu provoquer des tensions politiques qui pourraient aboutir à sa déchéance. Donc, après mures réflexions, il décida de léguer ces problèmes à Abdou Diouf qui se chargera des destinés du Sénégal sous la pression constante des bailleurs internationaux.
Rappelons-le, le Président Diouf a « gouverné dans la douleur » comme il aime lui-même le dire. Mais malgré ça, il s’est fortement accroché au pouvoir au point d’utiliser tous les moyens de l’administration à son service pour rester à la présidence aussi longtemps que possible. Tout au long de son magistère, il gouverna d’une main de fer en recourant à la chicotte et à la carotte selon les situations pour assurer l’ordre nécessaire à la survie de son pouvoir. En 2000 aussi, il voulait employer ces mêmes méthodes fortes qui lui ont servi en 1988 et 1993. Cependant, cette fois, il ne se heurta pas seulement à l’opposition mais à tout un peuple qui voulait en finir avec quarante ans de socialisme. « Sopi » était le mot d’ordre et ce désir d’alternance était si forte qu’aucune police ou armée ne pouvait la retenir. Le Président Diouf confessa plus tard que la volonté de changement des Sénégalais était tellement puissante, que son régime ne pouvait que l’accepter. Donc, il fallait partir même si c’était difficile.
Maitre Wade accéda ainsi au pouvoir dans ces conditions tumultueuses. Après avoir mis un terme à quarante années de pouvoir socialiste, le président Wade imagina une feuille de route de « cinquante ans de pouvoir » aux mains des libéraux. Difficile de dire comment il comptait faire pour réaliser cette vision, mais on sait qu’il a tout essayé pour au moins préserver son pouvoir. C’est ce qui a justifié la malheureuse tentative de faire passer une loi en 2011 qui avait pour but de le faire réélire à seulement 25 % des suffrages. Comme un seul bloc, le Peuple Sénégalais se redressa contre cette loi qu’il considérait anticonstitutionnelle et exerça la pression nécessaire qui aboutit finalement à sa retraite. Ce jour du 23 juin 2011 aurait dû inspirer au Président Wade que forcer une troisième candidature aurait été fatale à son régime et sa réputation. Mais aveuglé par on ne sait quelle ambition mystérieuse, il tenta l’aventure d’une candidature visiblement illégitime. S’en suivit alors un long bras de fer entre lui et le peuple Sénégalais dont l’issue fut une humiliante défaite en mars 2012. Il eut cependant l’intelligence d’organiser des élections transparentes et de reconnaitre finalement que c’était fini pour le PDS en agissant conformément au verdict des urnes.
On retient que tous ces trois présidents ont voulu exercer le pouvoir pour une durée illimitée mais ont pu prendre le recul nécessaire pour quitter la présidence à temps afin de préserver leur pays d’un embrasement qui aurait pu leur couter cher.
Une riche histoire politique qui doit inspirer le Président Macky Sall qui aujourd’hui se trouve comme ses prédécesseurs piégé par le désir d’une gouvernance illimitée. Le peuple Sénégalais retient son souffle et se demande s’il va lui aussi tenter ce qu’on pourrait qualifier aujourd’hui de « terrorisme mandat. » Une frange importante de cette population estime même, qu’il est nécessaire d’anticiper, d’installer le rapport de force le plutôt possible afin que l’idée d’une troisième candidature ne lui effleure ne serait-ce qu’une seule seconde l’esprit. C’est un peu la leçon des tragiques événements de Mars 2021. Freiner les ambitions d’un président qui parait il cherche à baliser une « autoroute à péage en direction de 2035 » était en quelque sorte l’idée de beaucoup de jeunes manifestants. Que ce postulat soit vrai ou pas, il y a véritablement matière à réfléchir dans la démarche du président. Rappelons qu’au lendemain de sa réélection, le journaliste mercenaire du président, Yakham Mbaye a dit que Mr Macky Sall a formellement interdit à son entourage de se prononcer sur la question du troisième mandat. C’est pour cette raison, que le président Sall a écarté par décret beaucoup de ses proches collaborateurs tels Sory Kaba, Maitre Moussa Diop et Moustapha Diakhaté qui ont dérogé à la règle en exprimant une opinion contraire aux intentions inavouées du chef de l’APR. Depuis ces mises en garde sévères, les collaborateurs de Macky Sall, invités sur les plateaux TV préfèrent jouer la carte de la nuance en promettant de revenir sur le sujet ultérieurement.
Début mai 2022, lors d’un diner de réception des « Young Leaders, » Macky Sall s’est prononcé en défaveur de la limitation des mandats en Afrique qu’il a jugée actuellement inopportune. La question reste donc suspendue et Mr Macky Sall agit comme si c’est lui et non la constitution qui a le dernier mot sur la question. D’ailleurs, dans une interview largement médiatisé un certain 31 décembre, il a dit que les Sénégalais seront édifiés sur la question le moment venu. Il est donc clair qu’une question purement juridique est reléguée à un niveau strictement personnel. Et c’est là le plus grave, que la destinée de tout un pays soit soumis aux désidératas d’un seul homme fut il le leader de la plus grande institution d’Afrique. Babacar Justin Ndiaye qui a du mal à digérer ce « flou constitutionnel autour du mandat du Président de la République » considère que « ça semble être un détail mais pour quelqu’un qui connait l’histoire du Sénégal ce n’est pas un détail.»
Effectivement, au vue de sa trajectoire politique spéciale, le Sénégal mérite un débat plus élevé que ça. Le Président Macky Sall doit savoir qu’il a la responsabilité historique de préserver cette belle « exception Sénégalaise » qui depuis les indépendances a résisté aux tentations extrémistes qui ont fait tant de mal dans la sous-région et conduit des pays voisins au chaos. La solution est toute proche. Un simple discours pourrait délivrer ce peuple de ce troisième mandat phobie afin de se concentrer sur les sujets prioritaires. Une chose est claire, le Peuple Sénégalais est habitué à contraindre ses dirigeants à agir avec sagesse.
De Senghor à Wade, la lutte pour la conservation du pouvoir a toujours été un élément déterminant de la politique de ses présidents. Cependant, tous les trois ont su échapper à temps au syndrome d’hubris pour avoir le privilège de jouir d’une retraite tranquille. C’est au tour de Macky Sall de prouver à son peuple et au monde qu’il peut être aussi Grand que ses prédécesseurs en renonçant pour l’Histoire aux séductions d’un pouvoir éphémère. S’il agit conformément à la volonté populaire, ce sera un bel exemple pour ses successeurs et comme toute grande démocratie, nous aurons mis un terme à ce débat institutionnel vide de sens pour se focaliser sur les véritables chantiers de l’avenir.
En attendant ce qui va se produire, cette date du mercredi 08 juin 2022 va marquer le début d’un bras de fer entre l’opposition et Macky Sall sur la question épique du troisième mandat. Le peuple sera-t-il de la partie ? Certainement oui, surtout si rien n’est fait pour rassurer les esprits sur cette probable candidature impopulaire. C’est pourquoi, nous estimons que face à ce peuple qui a soif de changement « il est immoral, impolitique et excessivement dangereux » de tenter l’aventure d’un troisième mandat. Mais nous ne désespérons pas du génie Sénégalais. La sagesse de Senghor, le réalisme de Diouf, la lucidité de Wade peuvent inspirer un jour Macky Sall et l’aider à renoncer à la quête obsessionnelle d’un mandat impossible.
Lamine Diallo, Akoben Défense et Sécurité ADS